Un fond de campagne par Régis Elie

Publié le: Juil 11 2017 by Anita Coppet

La petite bourgade de Fitzer, en Alsace comptait au dernier recensement 121 habitants, elle faisait partie de ces villages qui se dépeuplent inexorablement, plus de la moitié de la population avait disparu depuis une décennie.

Ne restaient que des personnes trop âgées pour partir et des chômeurs, trop pauvres pour envisager le moindre effort financier leur permettant de gagner, s’il en existait vraiment, une contrée plus prospère.

La plupart des commerces avaient fermés ne laissant derrière eux que les vieilles enseignes dont la peinture finissait de s’écailler, portant, placardé en façade comme une honte, le panneau « Bail à céder ».

Seul un bar-tabac, sur la place du village, semblait défier le temps et permettait à quelques habitués de se retrouver autour d’un verre ou davantage, car le désœuvrement a tôt fait de vous faire plonger dans la déprime et l’alcoolisme.

Louis Siegel, le maire, n’était pas non plus de la première jeunesse, il venait de fêter ses 75 ans et en était à son troisième mandat, il faut dire que les candidats à l’investiture n’étaient pas nombreux tant la tâche consistait à gérer un quotidien bien ennuyeux, tout en supportant la responsabilité liée à la fonction.

Sa famille avait déserté les lieux depuis de longues années, il ne voyait ses enfants et petits- enfants que rarement, uniquement à l’occasion de fêtes où d’anniversaires quand la nostalgie du village natal les étreignait un peu et qu’ils avaient décidé de passer 2 où 3 jours, guère plus, dans cette contrée déshéritée, où l’ennui vous gagnait impitoyablement, dès que l’on avait salué son hôte et fêté la bienvenue devant un sirop de quetsches ou de griottes.

Pour échapper à la déprime, il leur fallait à tous reprendre la route du retour vers la civilisation, celle qui leur permettait de fréquenter les cinémas, les théâtres, les concerts, de surfer sur le web, de s’adresser des textos sans craindre les incidents de réseaux, de disposer normalement de magasins modernes, offrant les dernières nouveautés du marché, et situés à quelques encablures de leurs résidences.

Louis Siegel était un homme intelligent et doté d’une grande humanité, plus tôt dans sa vie, si l’occasion s’était présentée il aurait certainement déserté le village comme beaucoup de ses congénères mais il était employé à l’usine de textile qui s’était implantée en périphérie du village au début du XXe siècle et qui offrait à l’époque et jusqu’à ces dernières années, du travail à la majorité des habitants de la commune.

Il avait conscience d’avoir vécu un âge d’or, même si le métier de tisserand qu’il exerçait, lui paraissait parfois fastidieux et trop répétitif ; mais il s’était toujours résigné à venir chaque matin, à l’aube, pour exercer son labeur quotidien.

Il ne s’est jamais plaint, il lui suffisait de penser à ceux qui descendaient dans la mine, et ils étaient nombreux, privés de la lumière du jour, un ENFER… se disait-il.

Sa retraite était bien méritée et il en bénéficiait dans des conditions satisfaisante selon lui, en comparaison de nombreux de ses administrés qui pour la plupart n’avaient jamais vraiment travaillés et ne pourraient prétendre qu’au minimum social qui leur serait attribué pour assurer leurs vieux jours.

Mais il n’était pas du tout certain que la formule dont il bénéficiait, existerait encore dans quelques années et se prit à craindre le pire pour bon nombre de ses concitoyens.

Lors d’une séance de conseil municipal, début décembre, alors qu’il faisait un froid de canard et que tous les élus restaient emmitouflés dans leurs gabardines, dans une salle dont le chauffage était resté éteint par souci d’économie, il prit la parole sur un ton solennel.

« Messieurs, je vous invite à considérer aujourd’hui que notre village et notre commune sont à l’agonie et que nous avons le devoir d’intervenir, car nous sommes élus par la population et que cette dernière attend notre service et mieux encore, notre secours »

Il ajouta en culpabilisant:

« Nous nous sommes contentés jusqu’à maintenant de gérer les travaux quotidiens dévolus à notre  service public, mais ce n’est pas suffisant et je dirais que ce n’est plus essentiel, il faut désormais se préoccuper de la population, des hommes, des femmes et des enfants qui vivent encore à Fitzer et qui désespèrent chaque jour davantage, de voir s’éloigner leur misère et leur désarroi.

« Il faut agir pour que ce village survive, nous en sommes là… alors chers membres du conseil, j’invite chacun d’entre vous à réfléchir avec le plus de sérieux possible sur le sujet, et tel un devoir de classe, à la prochaine séance du conseil, dès la semaine prochaine, nous étudierons chacune des solutions que vous avancerez, qui nous paraîtrons réalistes et applicables »

Sur ces mots il clôtura la séance car aucune autre préoccupation n’avait le même caractère d’urgence. Il se dit que traiter du ramassage des ordures ménagères entre autres, n’était plus à la mesure de l’enjeu qu’il avait évoqué.

Tous se levèrent, saluèrent aimablement le maire, mais parurent inquiets et désemparés devant la tâche qui venait à tous, de leur être assignée, ils comprirent qu’être élu était un titre mais surtout un travail et un travail des plus sérieux qui soient, le maire venait de leur rappeler.

Par habitude, après chaque séance du conseil, quelques élus en l’absence du maire, se réunissaient au bar pour échanger leurs impressions et surtout passer du bon temps à se raconter quelques blagues salaces indispensables pour accompagner le pastis, mais aujourd’hui le cœur n’y était pas, il allait falloir réfléchir beaucoup plus qu’à l’accoutumée et cette pensée les crispait.

De retour dans leurs familles respectives, ils essayèrent de dissimuler leur inquiétude, demandèrent à leurs épouses de leur fournir un cahier et un stylo, selon le rite conventionnel du rapport de couple, et commencèrent à réfléchir sur le sujet proposé.

La peur de la page blanche leur revint en mémoire, aucune idée nouvelle ne leur montait à l’esprit, ils prirent conscience de la difficulté de la tâche et beaucoup abandonnèrent leur « devoir » pensant que des collègues plus avisés et plus imaginatifs parviendraient à les sortir de ce pétrin.

« Après tout, il suffit d’une bonne idée émise par un élu pour satisfaire le maire, ce n’est pas la quantité qui va compter mais la pertinence et si je ne suis pas détenteur de l’idée, je pourrai toujours me ranger derrière celui qui l’a émise en l’approuvant sans réserve » pensèrent certains

« La nuit porte conseil » pensèrent les autres en mal d’imagination tout en supposant que le lendemain serait aussi stérile et ne permettrait pas d’avancer la moindre théorie.

En fait, ils perçurent tous qu’ils s’étaient enfermés dans une routine et que le moindre mouvement dans leur équilibre quotidien leur créait un malaise, un dérangement ; c’était ainsi dans leur couple, c’était ainsi dans leur fonction d’élus.

Avaient-ils la volonté et les ressources de se remettre en cause ? non ! Ils pensaient que ce confort leur convenait et ce conformisme participait à leur paisible existence.

Leur modèle de vie n’était même pas discutable, ils n’allaient pas se préoccuper outre mesure du sort des autres, car à leur sens ils ne détenaient pas la ou les solutions aux problèmes du désœuvrement, de la misère, et de tous ces grands maux qui frappent nos sociétés modernes, En fait ils jouaient l’esquive et la plupart avaient opté pour la solution de facilité.

Le jour du conseil arriva, quelques élus manquaient à l’appel prétextant une maladie ou des empêchements impromptus.

le maire fit mine de regretter leur absence et informa les 12 participants restants, que chacun serait convié à exposer ses idées personnelles en commençant par le 1er.adjoint, puis les autres adjoints et enfin les élus des différentes commissions.

Cet ordre hiérarchique soulagea la plupart des participants car chacun supposait que le 1er. Adjoint normalement plus impliqué que les autres, serait à la hauteur de la situation.

De plus, s’appuyer sur les idées du premier intervenant devenait un jeu d’enfant pour qui n’avait pas eu d’inspiration durant toute la semaine écoulée.

Albert Destreil, 65 ans, 1er adjoint, ancien instituteur, avait gardé son pardessus en raison de la fraîcheur de la pièce, sur le col était agrafée une distinction qui ressemblait aux « palmes académiques », il en était resté fier mais à juste titre, car il avait œuvré à l’école communale pendant plus de 40 ans et plusieurs générations d’élèves se souvenaient de son professionnalisme, de son dévouement, de son engagement dans l’éducation et des bonnes relations qu’il avait entretenu et entretenait toujours avec les familles.

Faute d’élève, l’école avait fermé depuis 3 ans et Albert Destreil en était resté amer, il fut donc le premier à comprendre la supplique du maire et le premier à s’investir dans la quête de solutions pour faire revivre le village, et des solutions, il semblait en avoir, car il sortit de son vieux cartable élimé,  quelques feuillets manuscrits qui avaient dû lui valoir plusieurs nuits sans sommeil.

Connaissant l’assurance du personnage, son talent oratoire et apparemment la foule d’idées qu’il allait annoncer, les autres participants se tassèrent sur leur chaise, tranquillisés, en supposant que leur intervention à venir serait anecdotique comparée à celle de leur premier adjoint.

Albert Destreil se leva et commença par adresser ses salutations à toute l’assemblée d’une voix posée et chaleureuse. Il était devant sa classe et captait son auditoire, comme à son habitude.

« Monsieur le maire, mesdames et messieurs les élus, j’ai beaucoup réfléchi aux solutions que l’on pourrait mettre en œuvre pour tenter de redonner vie à ce beau village de Fitzer, elles sont limitées car chacun sait que les petites commune rurales sont en déshérence depuis plusieurs décennies et le vent de l’histoire ne souffle pas dans le sens de leur requalification.

Nous n’avons rien à attendre de l’évolution de nos sociétés, elles avantagent toujours plus la concentration urbaine et nient la ruralité.

Selon ce postulat, dans quelques années de nombreux petits villages seront totalement désertés  et disparaîtrons, faute d’habitants et nous restons totalement démunis face à ce phénomène »

Tous les participants approuvèrent sans réserve, dans un murmure collectif, manifestement le premier adjoint allait couvrir l’ensemble du thème proposé avec toute la rigueur convenue, et son expérience des allocutions magistrales.

Il poursuivit :

« Cependant, nous vivons dans ce village depuis de nombreuses années pour la plupart d’entre nous et nous ne pouvons pas dire que nous y sommes malheureux, ce qui signifie que la vie y est supportable, que les désagréments du quotidien sont largement compensés par une qualité de vie indéniable »

« Notre beau village de Fitzer a une histoire à l’instar de tous les villages de France, nous devons nous appuyer sur cette histoire, et faire valoir ce passé, ce qui implique une réhabilitation complète de son patrimoine bâti et naturel, malheureusement nous n’avons pas les moyens financiers de cette ambition et à fortiori nous devons réconcilier une bonne partie de la population avec le travail, il va donc falloir conjuguer les deux nécessités et C’EST POSSIBLE… »

Les élus conquis applaudirent et le 1er.adjoint continua dithyrambique pendant 1 heure.

A l’issue de l’allocution le maire sollicita les autres participants mais aucun ne souhaita rajouter des idées ou émettre des réserves à ce qui avait été dit,

Il conclut par ces mots :

«Nous avons autour de cette table un instituteur, un maçon, un maraîcher, un menuisier charpentier, un mécanicien, un électricien, etc. je vous demande en tant qu’élus et anciens professionnels confirmés, de vous impliquer dans les tâches de réhabilitation de notre beau village, en partageant votre savoir-faire avec tous ceux qui sont sans formation et sans emploi et aptes à travailler, en les motivant dans ce beau projet que nous allons porter, main dans la main.

– Nous solliciterons les instances départementales, régionales et nationales pour leur demander de nous épauler dans notre objectif, matériellement et surtout financièrement.

– Il faut nourrir l’espoir que notre village une fois mis en valeur sera reconnu d’intérêt touristique et fréquenté par les visiteurs en quête d’authenticité patrimoniale.

– Je vous remercie de votre attention et compte sur vous tous pour relever ce grand défi »

Après la clôture de la séance, fidèles à leurs habitudes, les élus affluèrent au café dénommé opportunément « Bonne Espérance » pour célébrer cette nouvelle orientation dans le fonctionnement de la mairie du village.

Le long du trajet, ils purent distinguer les anciennes maisons à colombages typiques de cette alsace qu’ils aimaient tant, qu’ils ne voyaient plus tant ils étaient familiers des lieux, et se dirent qu’effectivement la sauvegarde de ce patrimoine prévalait sur toute autre option.

A leur passage, une cigogne, du haut de son nid édifié sur une tour de l’église, émit un claquement de bec qui pouvait ressembler à un applaudissement.

Tout n’était pas réglé, loin de là, mais ils étaient désormais convaincus qu’un grand projet avait le don de rassembler les hommes et de surmonter les périls.

C’était déjà une grande victoire.

One Comment to “Un fond de campagne par Régis Elie”

  1. J’ai retrouvé avec plaisir l’ambiance alsacienne dans votre récit.
    On sent votre attachement à cette région, qui je suppose est la vôtre.
    Pour ma part j’y ai vécu 25 ans, notamment du côté des mines de potasse. J’y conserve de belles amitiés et j’ai été heureuse de vous lire.

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