« L’heure du bilan » Candice Carrera

Publié le: Mar 20 2018 by Anita Coppet

A en juger par son apparence, cette vieille femme n’avait pas dû avoir la vie facile. Le temps semblait s’être désespérément acharné contre elle, usant et maltraitant ce corps désormais si fragile. Elle paraissait profondément meurtrie et pourtant, une force incroyable lui permettait de se tenir encore là. Peut-être s’était elle forgé une carapace lui permettant de surmonter froids et tempêtes. D’expérience, elle avait dû apprendre à accepter les choses pour ce qu’elles étaient et rien ne paraissait désormais plus la surprendre.

 Aussi, lorsque ce matin-là, elle pénétra dans le cabinet de cet éminent spécialiste, l’étrange absence de clients ne paru pas spécialement l’étonner. Il régnait en ces lieux, une atmosphère incroyablement calme et la salle d’attente, bien que vide, inspirait douceur et sérénité à quiconque s’y serait installé.

Cela faisait des années qu’elle n’avait plus été le consulter. Pourtant, il paraissait évident qu’un nouvel examen ne pouvait plus être repoussé. L’éventail et l’étendu des maux dont elle semblait souffrir, aurait fait craindre à n’importe qui le pire. Bien sur, la dame était vieillissante et personne n’est sans ignorer combien l’âge n’améliore pas la santé.

Ne pouvant se résoudre à se laisser aller si facilement, elle avait dans un premier temps, choisi d’ expérimenter elle-même divers remèdes. Si certains révélèrent rapidement leurs efficacités, pour une grande majorité le doute restait permis. Cédant tour à tour à l’appel des médecines alternatives et naturelles, elle avait tenté d’adopter une meilleure hygiène de vie. S’astreignant à des soins rudimentaires stricts, bannissant les produits issus de l’industrialisation et se référant à des régimes alimentaires pseudo équilibrés. En vain. Un jour, répondant à l’appel d’un bon ami, elle alla même jusqu’à s’expatrier vers des températures plus chaudes, un climat plus sec, connu pour traiter les infections les plus difficiles. Mais tel ne fut pas son cas.

Aussi, s’était-elle finalement décidée à venir le visiter, espérant qu’IL pourrait peut-être l’aider, là ou elle avait échoué. Certes, elle ne se faisait pas d’illusion, mais une part d’elle-même continuait d’espérer, souhaitant ardemment pouvoir reculer l’heure de cette retraite, qu’elle ne voulait pas voir arriver.

C’est ainsi que toute affairée à ses pensées, elle n’entendit pas la porte s’ouvrir. Du coin de son bureau, IL l’observait et déjà semblait prendre quelques notes. Au fond de lui, cette femme l’émouvait. Comment avait-elle pu en arriver là ? Ses grands yeux verts émeraude qu’il avait connu si pétillants, lui paraissaient désormais tristes au point de laisser perler des larmes. Sa longue chevelure argentée, autrefois majestueuse et courant le long de son corps, ne ressemblait plus qu’à un amas de nœuds sans fin. Même ses vêtements avaient pauvre allure. Sa belle grande robe de satin bleue, son chapeau et ses bas d’organza blanc s’avéraient pauvrement rapiécés.

Voyant qu’elle ne réagissait pas, IL se rapprocha et comme pour la sortir tranquillement de sa torpeur, lui murmura à l’oreille :

– « Terra, c’est à toi. Si tu veux bien me suivre… »

Prenant conscience de sa présence, elle leva la tête. Alors elle le vit, attendant face à elle. Presque instantanément, ses yeux plongèrent dans les siens et à leur contact, elle retrouva cette sensation de bien-être et de réconfort qu’elle avait depuis si longtemps oublié. Car c’était bien lui. Devant elle se tenait son Créateur. Cet esprit cosmique à qui elle devait la vie. L’Être qui l’avait si longtemps choyé mais dont elle avait un jour choisi de s’éloigner. Parce-que l’homme est avide de nouvelles expériences, d’innovations, de changements, tout comme le fut Terra… Mais pour quels résultats aujourd’hui ?…

Un peu honteuse, la tête basse, elle se leva et d’un pas lourd, le suivi dans son bureau ou elle prit place.

Et après un temps de silence, venant alors briser l’écho muet, des reproches auxquelles elle s’attendait, IL posa cette question.

 – « Terra, que puis-je désormais pour toi? »

La question était juste. Que pouvait-il bien faire ? Comment et surtout pourquoi ? Pour tout recommencer ? Et ensuite, que ferait-elle ? Terra se sentait perdue, seule dans cet univers, ne sachant plus quelle direction embrasser.

 – « Père… » commença t-elle après un moment. « Pardonnez moi… Jamais je n’aurais imaginé qu’une pareille chose finisse par m’arriver. Je reconnais avoir perdu le contrôle sur ces hommes que vous m’aviez autrefois confié et que j’ai si maladroitement géré. Peut-être aurais je dû prendre un peu plus la peine de vous écouter et bien des conséquences auraient pu être évitées… »

– « Mais tu n’es pas la seule responsable Terra! » fit il, l’interrompant.

La vieille dame, le regarda, surprise. Que voulait-il dire ? Sa voix était empreinte d’une telle solennité.

 – « Je connais tes malheurs et je suis moi aussi en peine. » reprit-il. «  Je sais n’avoir pas toujours été très présent, mais je t’aime et à ma façon je dois également reconnaître mes torts. Ton âge m’a trompé car tu étais encore bien jeune. Aussi je n’aurais certainement pas du te laisser seule cette responsabilité. L’homme commet des erreurs et il te faut désormais apprendre à les accepter ». Il s’arrêta à nouveau, marquant une pause, avant d’ajouter « Car malheureusement, il n’existe en notre monde aucun traitement capable d’éradiquer tout le mal et les dégâts, aujourd’hui réalisés. »

Le poids des mots étaient lourd et Terra ne retenait plus ses larmes. Son corps entier était en proie à de petits soubresauts que ses habitants auraient sans doute pu percevoir, si toutefois ils y avaient prêté attention. Rien ne viendrait plus la sauver. Elle savait ces paroles vraies et pleine de sagesse. D’une certaine manière, cette reconnaissance absolue venait un peu l’apaiser même si un tel plongeon dans l’inconnu ne pouvait que l’effrayer.

 Lui aussi comprenait cette détresse et son cœur de père brûlait intensément de ne pouvoir mieux la consoler. Aussi, comme un parent réconforterait un enfant éploré, il l’entoura de ses bras et doucement, se mit à la bercer.

– « Sèche tes larmes mon enfant et vois plutôt. Le temps des hommes est bientôt fini, une autre ère viendra bientôt. »

 Son regard s’était posé à un endroit bien précis du corps de la vieille dame. Suivant l’indication, elle se baissa afin d’y porter un peu plus d’attention. C’est ainsi qu’elle comprit. Si leur déclin était depuis longtemps amorcé, les hommes avaient signé ici la fin de leur humanité.

Bien qu’un peu peiné, Terra se sentait soulagé. Car après les avoir longtemps aimés, elle n’était désormais plus capable de les supporter.

Elle s’abandonna une dernière fois aux bras de ce père aimant, qui l’avait tant aidé. Clôturant son histoire, prête à se laisser aller. C’est ainsi qu’avant de s’éclipser, sans rancune, Terra leur envoya, un dernier baiser.

One Comment to “« L’heure du bilan » Candice Carrera”

  1. Jean Francois CARRERA dit :

    Adresse Postale
    150, avenue de Provence, 83600 Frejus
    Une nouvelle très originale, « fantastique » et …réaliste, même si en conclusion le diagnostic final ne laisse aucun espoir à la patiente.
    A quand la suite …..!

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