« Ma tante Sido » Jacqueline Girard Pastouret

Publié le: Mar 20 2018 by Anita Coppet
Le 20 novembre, je n’oublierai jamais cette date, je reçus un appel de la gendarmerie qui m’apprit le décès de ma grand tante, ma seule famille.
Mon interlocuteur demandait  à me rencontrer au plus vite,  certains détails  ayant intrigué le médecin qui avait alerté la gendarmerie.
Il m’attendait à l’arrivée du train.
A la maison, ma tante reposait encore sur le sofa ou l’infirmière  l’avait trouvée.
Un moment  douloureux, je réalisais que je la voyais pour la dernière fois, elle à qui je rendais visite aussi souvent que possible.
Elle me faisait partager ses souvenirs, je lui parlais de mes élèves et nous avions en commun la passion de la lecture. Passer  du temps avec elle était un plaisir car elle était restée étonnamment jeune d’esprit, curieuse et ouverte sur le monde.
L’officier de gendarmerie se révéla commissaire et me demanda de faire la liste des personnes  qui approchaient ma tante quotidiennement.
Je compris malgré sa manière  détournée qu’il voulait également connaître mon emploi du temps de ces derniers jours.
« Absurde », ma grand tante, je l’appelais affectueusement Tante Sido ne pouvait pas avoir d’ennemis.
C’était une  nonagénaire active depuis son veuvage il y a plusieurs décennies,  je n’avais pas connu son époux, elle vivait seule, dans une  de ces villas majestueuses  propres aux stations balnéaires  bourgeoises de la Côte Fleurie, où peintres et écrivains viennent chercher l’inspiration dans ces paysages magiques des bords de mer.
La maison  centenaire, restée élégante,offrait  une façade aux  pans en bois foncés sertis sur la pierre blanche,  les pignons fleuris donnent ce cachet typique de l’ architecture  de la Belle Époque.
Ses revenus  confortables lui permettaient de jouir de  la vie en toute sérénité.
De caractère enjoué, elle était généreuse, bienveillante, grande lectrice  elle revendiquait le péché de gourmandise, sa tisane de l’après midi, mais toujours agrémentée d’ une assiette de gâteaux, qu’il y peu de temps encore, elle tenait à confectionner elle-même, parfumés à l’eau de fleur d’oranger, utilisant  fidèlement  de veilles recettes familiales.
Ce n’était pas  une personne à la vie mouvementée
Toujours habillée de chemisiers blancs, le  plastron finement plissé, un  col rond en dentelle orné d’ un camé, les  poignets des manches fermés par une perle. Un léger cardigan de laine grise , un pantalon noir au pli parfait,  complétaient sa tenue,  été comme hiver.
Cette élégance discrète donnait à  son allure un charme désuet et attendrissant .
Son visage aux yeux pétillants était peu marqué par les ans, et ses joues bien pleines  n’avaient jamais connu de maquillage. Elle utilisait une eau de toilette,  mélange de fleurs blanches, oranger, seringas et lys soutenu par la suave odeur de la violette.
Lorsque j’étais enfant, j’adorais me faufiler dans sa chambre pour  en respirer goulûment la douce fragrance , je revois le grand flacon ventru au verre épais incrusté d’abeilles.
Pendant quelques heures,  la maison fourmilla des allées et venues  de médecins, de policiers, de photographes, puis ce fut le silence, je  me retrouvais seule, errant d ‘une pièce à l’  autre.
Je  remis un peu d’ordre dans le salon, , son  cardigan était resté sur un fauteuil,  je sentais les larmes m’envahir lorsque je le portais à mes lèvres,  j’allais retrouver l’odeur  subtile et  poudrée de son parfum ,  sa petite coquetterie.
Je le reposais doucement, dans une poche,  un papier crissait sous mes doigts. Je le dépliais, je reconnu l’écriture fine et précise de Tante Sido.
Certains  mots étaient écrits en caractères plus foncés, comme s’il fallait les lire plus attentivement.
Un Crime sera commis. 
Une Ténébreuse Affaire, les Diaboliques vont faire des Ravages, le Notaire du Havre, il habite au Mas Théotime avec Lolita, l’Ingénue Libertine,  il rencontre Monsieur de la FERTE, le Joueur, l’Âme Obscure, celui  Pour Qui Sonne le Glas. Ils se retrouvent dans le Cabaret de la Belle Femme, aux Grilles d’Or, avec Alberte, Rebecca, les Dames Galantes, Isabelle, la Dame de Pique, Gigi, le Diable au Corps. 
Tante Sido m’ayant laissé à dessein cet étrange texte, je me devais d’ en trouver le sens, avant de  le montrer  à la police.
Je ne pouvais pas rester dans le salon, avec l’image  du corps sans vie de ma chère tante, des policiers furetant  partout et  les doutes planant  sur la cause réelle de sa mort.
Je  m’installais dans la bibliothèque, un feu  toujours prêt a être allumé. Je craquais une allumette, je me sentis moins seule, les flammes en plus de me réchauffer mettaient  un peu de vie et de couleurs dans cette pièce.
 Je parcourus machinalement  les rayonnages  et tout à coup, je compris.
Chaque mot  correspondait à un  titre de livre ou à un personnage, une  histoire se déroulait  sous mes yeux, les premiers mots me firent frissonner :
« un crime sera commis »
Je m’interrogeais, « un crime sera commis  » par  qui,  quand, comment, pourquoi ?
Ma tante voulait elle me désigner un coupable ? Se sentait -elle menacée ?
C’était une vieille dame  très riche, tout le monde le savait même si  elle ne faisait pas étalage de ses richesses, soucieuse seulement de son nom , mais son héritage pourrait être un motif de convoitise.
J’étais désorientée, perplexe.
La police m’avait demandé les noms des personnes de son entourage, étaient  ils  suspects ?
Seulement trois personnes l’approchaient régulièrement, j’étais presque certaine de leur moralité, mais l’appât du gain  peut faire changer les meilleurs, j essayais de réfléchir sur ce que je connaissais de chacun d’ entre eux.
L’infirmière,  elle était  chargée depuis  plusieurs années,  du suivi des médicaments c’est une dame austère même revêche, tenue en haute estime par notre ancien médecin de famille. Célibataire, une cinquantaine d’année, une petite voiture rouge brinquebalante, sans prétentions vestimentaires car toujours habillée d’un pull et d’une jupe plissée bleu marine sous sa blouse blanche  fermée par  quatre boutons.
La femme de ménage, elle s’occupait de la maison depuis plus de quinze ans, elle se plaignait  sans cesse de son mari, soi disant  buveur et paresseux, je savais ma tante   généreuse avec elle,
Le jardinier un homme taciturne,  sans âge,  je l’avais toujours vu courbé sur les plate bandes s’évertuant à  arracher les mauvaises herbes ou maniant un grand ciseau pour tailler les buis,  cigarette coincée au bord des lèvres,  vieux chapeau fané et   bosselé posé de guingois   sur son crâne dégarni.
 Parmi ces 3 personnes, je n’arrivais pas à voir un meurtrier. Il y avait bien deux autres personnes qui gravitaient régulièrement autour de ma tante, je ne les appréciais pas, mais est ce suffisant pour en faire des meurtriers ? J’essayais malgré tout de donner des renseignements précis à la police.
Son nouveau médecin, recommandé par notre médecin de famille, qui avait pris sa retraite. J’avais eu ‘occasion de le rencontrer, il m’avait fait une impression mitigée, je le trouvais falot, peu énergique, la poignée de main molle et collante, celle d’une personne veule et influençable.
Ma tante détestais les commérages, mais elle m’avait un jour que sa femme, jeune et très jolie  reprochait à son époux  son manque d’ambition et ses maigres revenus. Elle passait son temps à courir les boutiques de mode,
 n’hésitant pas à endetter le ménage pour s’offrir tout ce qui lui faisait envie. J’avais eu l’occasion de croiser cette jeune femme chez ma Tante, à qui elle rendait visite de temps en temps et je n’avais pas gardé une bonne impression.
L’autre personne était une femme d’une quarantaine d’années, son mari l’avait quittée, c’était une cousine éloignée d’une relation de ma tante. Sans emploi, avec trois enfants, elle était à la charge de sa cousine.
Ma tante pour lui rendre service lui avait demandé de venir revoir toute la lingerie de la maison.
J’étais venue un jour où elle officiait, et j’avais été choquée par son attitude, elle ouvrait toutes les armoires comme si elle était chez elle, évaluait, commentait l’ancienneté du linge, qu’il s’agisse de mouchoirs en dentelle ou de drap brodés, rangeait à sa façon sur les étagères pour finalement dire à ma tante que la moitié du linge déballé était à repasser et qu’elle le ferait tranquillement chez elle. Sournoise et maligne, elle rajoutait que dans ce cas elle ne compterait pas ses heures de travail. Ma tante ne voyait pas son manège. mais j’avais compris que les paniers emportés ne revenaient pas entiers à la maison.
Le besoin d’argent, l’envie , ces mobiles peuvent -ils faire basculer dans l’horreur ?
Venant de cette femme, rien ne m’étonnerait, je n’oubliais pas  le médecin, poussé à bout par son épouse il aurait pu aussi commettre un geste irréparable. A la police de faire son travail. Je ne savais plus que faire, que penser
En retrouvant ces titres de livres, une histoire s’était mise en place, j’avais tiré un fil de la pelote mais le mystère demeurait… Quelle étrange affaire, elle m ’empêchait  de dormir, assaillie d’interrogations.
Heureusement, quelques semaines plus tard, le commissaire m’apprenait que l’enquête était  close, les doses élevées  de barbituriques décelées ne paraissaient pas de nature à avoir mis la vie de ma tante en danger. Son grand âge et les années de traitement  en continu pouvant l’expliquer.
Quelques semaines plus tard, ma Tante Sido, reposait auprès de son défunt mari,   je fis graver sur le marbre, une photo datant de leur mariage, ils sont  souriants et amoureux.
Je fus convoquée chez le notaire, il me tendis une lettre, selon  les dernières volontés de ma tante, je devais la lire  avant d’accepter son héritage. Je l’ouvrais, j’en retirais une feuille très fine, je sentais les larmes me piquer le bord des paupières,  je ne devais pas pleurer, mais le doux parfum de violette et de verveine de son papier à lettres me surpris, m’empêcha de surmonter mon émotion, je sentais des larmes couler sur mes joues, le notaire, discret,  quitta la pièce, peut être dégoûté par des reniflements que je n’arrivais pas à calmer .
Ma chère enfant, 
Je dois de te faire  un aveu qui me coûte et a pesé sur ma conscience.
Il s’agit de ton oncle, j ai découvert que mon cher mari avait rencontré son âme damnée, un vieux notaire, ils avaient projeté de m’éliminer pour profiter de ma fortune à leur aise. J ‘ai compris qu’il me faudrait  agir la première.
Un scandale pouvait éclater à tout moment,  éclabousser le nom de notre  famille, nous avons compté des membres éminents du clergé et plusieurs magistrats. 
J’ai institué le rituel obligatoire de la tisane du  soir et petite dose  à petite dose je l’ai conduit à sa fin.
Pour avoir moins de remords je me disais que sa vie de débauche l’entraînait
vers cette issue, je n’ai fait que précipiter les choses !
Voilà ma chérie, tu connais mon secret.
Je n’ai jamais eu le courage de te l’avouer.
C’est plus facile de te raconter cette  histoire de ma vie  avec le secours de nos chères lectures. 
J’approche de ma centième année,  il est temps que moi aussi je tire ma révérence, chaque soir j’augmente  mes doses de somnifères , j’ai retrouvé quelques pincées de cette vieille poudre qui m’a rendu service autrefois, je vais ce soir en agrémenter largement ma tisane.
Si elle te posait un problème,  maintenant la police est soupçonneuse , n’hésite pas à montrer ma confession,c ‘est la haut que j’ai des comptes à rendre.
Ma chère enfant, profite de la vie, lis, écris, amuse toi.
Le notaire, aidé de son clerc, énumérait une liste de biens, j’étais la seule héritière , mais j’entendais à peine, un mot résonnait parfois mais j’en oubliais le sens, bouleversée par cette révélation.
 J’imaginais, Tante Sido, surveillant, jour après jour, les effets de sa poudre. Que de tourments a -t-elle  du endurer pour en arriver à cette décision, elle si bonne, si pure de tout vice.
Je demandais au notaire quelques jours de réflexion.
Ma décision prise, je me sentais délivrée d’un poids, persuadée que Tante Sido m’approuverait.
Je répartis une somme d’argent conséquente, aux trois personnes qui l’ont côtoyée durant ces dernières années, ceux qui  l’ont aimée et assistée  des jours durant. Pour ceux qui cachaient derrière leur sourire uniquement de l’envie, ces deux là, je les ai oubliés.
La maison  modernisée a été  séparée en deux partie, l’une est devenue une maison de lecture ouverte à tous, je m’en occupais  régulièrement.
L’autre partie a été transformée en centre d’accueil , des personnes âgées peu fortunées pourront profiter de séjours confortables face à la mer.
Quant à moi, j’avais conservé uniquement le camé de  ma tante Sido.
J’avais seulement exigé que la maison et le parc portent  son nom.

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