Sans regrets…  par Hélène Dennebouy

Publié le: Sep 18 2014 by Anita Coppet

, jeudi 18 septembre 2014, 13:12

 

Chez la pédopsychiatre, j’y vais tous les jeudis après l’école. On parle et on fait des jeux. « C’est pour apprendre à perdre. » il paraît. Ma grand-mère pense que je devrais plutôt apprendre à gagner. Pas ma mère…

J’en étais à mon troisième paquet de chips assise à l’arrière de la Twingo quand je me suis dit que ma mère et mon Tonton ils avaient dû beaucoup aller chez la pédopsychiatre eux-aussi… Là, sur le parking de Super H, ils étaient partis pour être les champions du monde… On avait perdu Mamie ! Ça devait bien faire une heure qu’on était partis de chez elle… Une heure qu’on avait décidé d’aller manger à la cafétéria de Super H – restaurant préféré de Mamie. Une heure qu’elle avait pris sa voiture… Mamie ne veut monter avec personne… et personne ne veut monter avec elle… moi, je voudrais bien, mais Maman non…  « Autant te jeter sous un bus toute seule » disait-elle… Moi, j’ai moins peur avec Mamie…

Ma Mamie, elle paraît un peu bizarre comme ça. Mon père la trouve même très très bizarre. « Ta mère, elle gagne à être connue dans le genre détraquée ! » « Pas la tienne peut-être ? » « Tu laisses ma mère où elle est ! » « Pas de problème si tu t’occupes de la tienne ! » « Ma mère n’a pas besoin de moi ! » « La mienne, c’est pareil ! »  « Ta mère c’est d’un psy dont elle a besoin ! » « … »  Et ça finit toujours par « Chacun sa mère, ok ? » Donc, pour la cafétéria avec Mamie ( la mère de ma mère ) on n’avait pas emmené papa.

On devait passer la chercher. Tonton nous retrouvait chez elle. On était partis tôt. Trop tôt… Mamie, elle était pas prête. On a du sonner plein de fois. Et puis Maman a commencé à tambouriner à la porte. « Maman ! Ouvre, c’est nous ! » « J’arrive ! Qu’est-ce qui vous prend d’arriver à cette heure ! » « Maman, il est 11h30 ! On va manger dehors ! Ouvre maintenant. » « J’ai compris ! J’suis pas encore complètement sénile ! » Alors Mamie essaye d’ouvrir sa porte… s’aperçoit que la clé n’est pas dans la serrure… fouille dans son sac… s’attaque aux trois verrous qu’elle a fait poser le jour où son voisin lui « a fait de l’oeil dans l’ascenseur et qu’elle sait bien ce que ça veut dire ! »… Là, Maman est déjà prête à enfoncer la porte. « Maman ! Pourquoi tu fermes tous les verrous ! Y’a déjà deux portes à code en bas, ça sert à rien ! » « Sauf que l’autre joli-coeur là, il est de ce côté des deux portes ma chérie ! »  « Ne m’appelle pas ma chérie, je te l’ai déjà dit ! » « Alors m’emmerde pas avec mes verrous ! » Toc ! C’est parti ! La journée avec Mamie commence ! « Maman, y’a ta petite-fille ! Surveille ton vocabulaire ! » « Et alors ? Faut bien qu’elle apprenne à parler non ? Ça me casse les pieds, ça m’emmerde, c’est chiant… tout ça c’est kif-kif bourricot ! » Ma Mamie c’est comme un dictionnaire des synonymes… en mieux. J’explose de rire ! Maman me fusille du regard comme si c’était moi qui venait de parler. Je baisse la tête. Maman piétine… souffle. Mamie tourne ses verrous… souffle… peste… et, enfin, ouvre la porte !

Maintenant qu’elles sont face à face Mamie et Maman ne s’adressent plus la parole ! Elles étaient plus inspirées avec une porte entre elles deux. Il faut dire que Mamie n’est pas vraiment prête. Non pas qu’elle soit encore en chemise de nuit, non ! C’est pas trop son genre… « C’est clair que ta mère c’est pas le genre Damart ! » « Maman ! » hurle ma mère en me repoussant sur le palier. Mamie, retournant vers la salle à manger, nous tourne le dos. Et là j’ai vu… Je remercie Maman de m’avoir aussi vite jetée dehors. Mais c’était déjà trop tard. J’avais vu ! Mamie était toute nue ! Enfin pas tout à fait. Elle avait juste une sorte de croix en tissu dans le bas du dos. J’ai pas compris tout de suite. Et puis je me suis rappelée mon père… « On n’a pas idée de se trimballer en string à 70 ans ! » Ce qui est bien avec ma Mamie c’est qu’on apprend plein de choses…

Donc, je suis là sur le palier. J’entends ma mère crier. Tu n’ouvres pas aux gens dans cette tenue, Maman ! Mamie crie encore plus fort. Je suis chez moi, je fais ce que je veux, Si ça ne te convient pas, tu restes dehors. Et là, je vois la porte s’ouvrir en grand… Mamie toujours toute n… et Maman furieuse me rejoignant sur le palier. Et nous voilà deux à attendre dehors que Mamie s’habille. Ce qui est bien avec ma Mamie, c’est qu’on ne s’ennuie jamais…

Quand Tonton est arrivé, Maman était au bord de l’explosion. Alors, elle a hurlé sur Tonton… Elle était à poil ! Non ? Si je te jure ! Et là, qu’est-ce qu’elle fait ? Elle s’habille j’espère !

Et comme Mamie fait ce qu’elle veut, c’est à ce moment là qu’elle est sortie de chez elle. Elle s’était habillée genre grande dame, robe noire, chapeau à plumes et tout et tout. Elle avait l’air perdue dans sa robe. Toute petite dans sa robe très longue… Tonton a changé de couleur, du rose au blanc sans transition – et encore, il savait pas pour le string ! Et Maman, qui aurait du se remettre à crier, a juste laissé Mamie fermer la porte à clé, traverser le palier, prendre l’escalier – Mamie ne prend plus l’ascenseur depuis que le voisin le prend, lui – et descendre les six étages à pied. Avec les talons ça a pris du temps. Avec Maman on a pris l’ascenseur pendant que Tonton suivait Mamie, priant pour qu’elle ne dévale pas l’escalier sur les fesses.

Arrivés au sous-sol, Maman a proposé qu’on prenne sa voiture. Personne ne veut monter avec Mamie… sauf moi… « Autant te jeter directement sous un bus ! » etc etc… Mais Mamie, elle, elle voyait les choses autrement. Pas question ! Je prends ma voiture ! Maman, on t’emmène c’est plus simple… Non, non, non ! Dites tout de suite que je ne sais pas conduire ! Maman, ne commence pas, on monte tous ensemble, c’est plus simple… Le plus simple c’est que je prenne ma voiture comme ça je peux rentrer quand je veux ! Maman, on te ramène quand tu veux, tu le sais ! Tu parles, vous pensez que je ne sais pas conduire, c’est surtout ça ! C’était parti. Du tac au tac ! A la fin, Mamie a pris sa voiture et Maman, Tonton et moi la nôtre. En route pour la cafétéria de Super H. On n’était pas en avance alors j’ai eu le droit d’ouvrir un petit paquet de chips que Maman avait pris au cas où… Je crois qu’elle avait un peu, voire pas mal, prévu qu’on aurait du retard… Peut-être pas à ce point là…

On a roulé dix minutes avant de se garer devant la cafétéria. Puis on a attendu… attendu que Mamie arrive. Mais elle n’arrivait pas… Des chips plein la bouche, je regardais Maman et Tonton tourner en rond. On lui a bien dit que c’était là ? T’es sûre qu’elle a bien compris ? Elle peut pas être partie ailleurs ! Elle est peut-être tombée en panne ? J’espère qu’elle n’a pas oublié la route… Ou pris un rond point à l’envers…

Tout était possible avec Mamie. Au volant de sa voiture c’est comme chez elle, elle fait ce qu’elle veut. « Priorité à l’âge mon bonhomme ! » « J’suis la plus vieille, je passe en premier ! » « Bouge-toi de là ! » « Encore une …. comment on dit déjà ? » « Pétasse Mamie… » « Voilà oui, bravo ma chérie encore une pétasse au volant ! » Et puis elle a pris le rond point à l’envers… a insulté le flic… et Maman a du venir nous chercher parce que la police n’a pas voulu la laisser repartir avec sa voiture. Je ne suis plus jamais montée avec elle… Je crois que Mamie, ça l’a mise pas mal en colère… « Qui va lui apprendre la vie à cette petite hein dis moi ? » « Maman, ne commence pas ! » Au fond d’elle, elle était surtout triste Mamie… Au fond d’elle, ça déconnait… Au fond d’elle, elle le savait…

Sur le parking devant la cafétéria, j’en étais à mon deuxième paquet de chips et Mamie n’arrivait toujours pas. Tonton surveillait l’entrée du parking… Maman aussi… Et moi, je ne croquais même plus mes chips… Comme si un seul craquement allait foudroyer la voiture de Mamie qui était peut-être déjà à l’envers sur un rond-point… Maman et Tonton bouillonnaient. Mais qu’est-ce qu’elle fait bon sang ? Je savais qu’elle n’aurait pas du prendre sa voiture ! Y’a pas trente-six mille routes pourtant ! Pourvu qu’elle n’ait pas eu un accident tout de même ! C’est clair qu’elle pourrait tuer quelqu’un ! Elle pourrait se tuer elle-même ! Comme pire que ça c’était pas possible Maman n’a pas répondu…

Mamie s’était peut-être tuée… Et moi je commençais à avoir vraiment faim. « Dans la vie faut se faire plaisir ma chérie. On mange ou on b… » « Maman ! Pas devant la petite ! » Alors en pensant à Mamie je laisse fondre les chips du troisième paquet sur ma langue… sans bruit. On a perdu Mamie… Maman et Tonton font les cents pas le long des voitures garées à côté de nous. Maman voudrait téléphoner. Tonton dit que Mamie serait capable de décrocher en conduisant… Si Mamie est perdue elle s’est sûrement arrêtée. Non, elle doit tourner en rond quelque part. Elle nous aurait appelés… Vu comme elle se sert de son téléphone elle a du appeler les secours à Tombouctou ! Et là, Maman a appelé. Elle avait le téléphone collé à l’oreille quand je l’ai vue… Mamie… à travers la vitre de la cafétéria… « Elle est là ! Mamie ! Elle est là ! » Affolée, Maman n’a pas compris tout de suite. Alors elle s’est mise à me hurler dessus. J’aurai mieux fait de faire craquer mes chips… « Où? Elle est où ? » Tonton s’était déjà rué dans la cafétéria. Maman m’a attrapé. J’ai renversé mes chips. Et on a couru derrière Tonton !

« C’est maintenant que vous arrivez ! Heureusement que j’ai pris ma voiture ! Par l’entrée B du parking ça va plus vite…» Maman et Tonton semblait avoir totalement perdu l’usage de la parole. On aurait dit deux statues. Mamie, ça l’a pas dérangée. Elle a continué à manger. Parce qu’en nous attendant elle s’était pas laissée mourir de faim. Sur son plateau il y avait à manger pour nous quatre sans problème. Mais même si Mamie acceptait de partager, ce qui n’arriverait pas, Maman refuserait… « Maman ! Tu n’as pris que des desserts ! » « Bien vu ! » La bouche pleine, occupée à manger, Mamie n’avait pas franchement l’air prête à discuter. Contrairement à Maman… qui réussissait à hurler à voix basse. « Et ton diabète ? T’y as pensé ? » « J’y pense tout le temps figure-toi ! » « Pas maintenant ! » « Bien vu ! Là je suis une vieille qui mange ! » « Et ? » « Je mange ou je pense ! Pas les deux en même temps… » C’était pas le moment que je donne mon avis mais je trouvais que Mamie avait l’air de bien penser… Une part de tarte au citron. Je fais ce que je veux ma chérie ! Une cuillère de mousse au chocolat. Ne m’appelle pas ma chérie ! Re-mousse au chocolat. Tu ne peux pas avaler autant de sucre ! Un morceau de flan. Ne me dis pas ce que je dois faire ! Une cuillerée de chantilly. Maman, je vais prendre le plateau ! Tartelette framboise. N’y pense même pas ma chérie ! Crème au café. M’appelle pas ma chérie ! Re-chantilly. J’fais c’que je veux ! Tartelette ! Non ! Mousse ! Si ! Je fais ce que j…

 

Elle a un diabète instable ! Maman hurlait. Elle a des injections d’insuline ! Tonton n’avait toujours pas retrouvé l’usage de la parole. Moi, j’aurais bien fini la chantilly… Les pompiers étaient arrivés très vite ! Avec les sirènes et tout et tout ! Mamie aurait adoré… « Ma petite chérie, dans la vie il faut faire les choses à fond, sinon on regrette ! » Là, dans la cafétéria de Super H, allongée par terre, c’était pas facile de savoir si Mamie regrettait…

 

 

One Comment to “Sans regrets…  par Hélène Dennebouy”

  1. Dominique dit :

    Très plaisant à lire. Je me suis bien amusée! Bravo!

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